Le iaï (jutsu ou do) japonais est unique au monde. Nulle part ailleurs, à ma connaissance, on ne trouve cette formalisation d'étude spécifique autour de ce moment si particulier qui précède le déclenchement de l'action et la gestion de l'attaque surprise depuis la position "sabre au fourreau". 
Et pourtant, cela parait si évident de se pencher sur l'étude de ce moment qu'on se demande pourquoi on ne retrouve pas cela ailleurs. 




Est-ce que dans les traités occidentaux anciens - c'est à dire avant que le iai soit bien connu -, dans les styles et salles d'armes européennes, il n'y aurait pas eu, aussi, cette préoccupation ?

Et bien, pas souvent... Mais, parfois on trouve tout de même des traces de cette recherche, à mon sens normale pour des combattants...  

Dans une version occidentale, les traités démontrent, selon les époques et le "public/clientèle" visé par le concepteur du traité, des méthodes permettant à l'individu, soit de pouvoir faire face à une situation militaire, soit à une situation de duel. 

Dans tous les cas, des moments ou il défend son honneur et son intégrité, en respectant une certaine forme honorable de combat.

Parfois, des passages montrent des situations "inégales", armes différentes entre les protagonistes, individu seul attaqué par plusieurs, etc... Ces passages sont plutôt des exceptions dans les traités. 
Encore plus rares sont les passages, ou clairement, un individu doit se défendre à partir d'une position défavorable ou alors lorsque son arme n'est pas prête... 


Pourtant, quand cela est envisagé, ce n'est pas toujours pour démontrer qu'il est en mauvaise posture ou désavantagé. Parfois, c'est même vu comme une "ruse". 


A ce qu'il semble, sauf peut-être chez Sainct-Didier qui considère le dégainement comme la première étape de la construction du combat - bien dégainer pour se trouver dans une posture permettant la suite favorable du combat - , ces techniques de dégainements sont des "trucs", des tromperies pour prendre un avantage immédiat et définitif, à partir d'une position qui est jugée à priori défavorable... mais que l'on va transformer pour reprendre l'initiative et gagner...

N'est-ce pas la vision du iaï-jutsu ? 

Deuxième point commun : Le iaï envisage la réaction à l'attaque surprise par le biais d'un dégainé-coupé rapide, mais aussi, parfois, par le biais de l'utilisation de la poignée du sabre, ou du fourreau comme moyen de la réaction : Frappe avec le bout de la poignée en distance courte, ou utilisation du manche comme vecteur de clé articulaire, ou, parfois aussi, "jeté" du fourreau - permettant le dégainement - dans le même temps, sur l'adversaire, pour le perturber, avant de le pourfendre dans la foulée. 


En fait, le iai japonais - dans sa version jutsu - est la normalisation "honorable" de trucs crados et peu honorables, mais marqué du sceau de la dernière chance de survie ou de la ruse volontaire. Parfois les deux. 

C'est aussi, le "dernier rempart" à l'arrêt du combat, par le protocole technique et mental qu'il met en jeu. Un peu comme les sommations et le protocole de tir de nos forces de l'ordre. 

C'est aussi ce qu'il ressort dans les deux premiers ouvrages que je vous propose. 
Sainct-Didier, lui, envisageant le dégainé sous un angle différent.  

Chez Fiore, dans le Fior di Battaglia - 14e siècle

Le plus vieux des textes présentés. L'arme utilisée est ce que l'imaginaire commun voit comme une "épée médiévale"



Chez  Domingo Luis Godinho, dans Les Trahisons - 1599... 

Ici, c'est moins l'utilisation de l'arme dégainée qui est présentée, que "l'état d'esprit" que l'on peut travailler dans le iai : Reprendre l'initiative sur une situation d'agression en distance proche, en détournant l'attention.



Chez Sainct-Didier - 1573

Ici, le dégainement est plus un moyen technique et tactique préparatoire au combat. les combattants se jaugent, s'attendent et dégainent (vite ? on ne sait pas) pour se retrouver dans la situation qu'ils jugent la meilleure pour eux pour la suite. 

Est-ce que le dégainement est suivi d'une coupe ou d'une frappe dans le même temps ? Le texte ne le dit pas, les illustrations ne l'évoquent pas non plus. 







Hans Talhoffer, 1459

illustration 1 de la séquence

illustration 2 de la séquence

Là, il semble plus que l'on soit "vraiment" dans une situation de "dégainé rapide" : Le combattant avec la masse est déja prêt à frapper , alors que l'autre a pré-sorti / "déverrouillé" l'épée de son fourreau. Il semble y avoir une logique de déplacement et d'approche pour celui-ci. Son mouvement de dégainé se combine a un déplacement le mettant en sécurité. La menace représentée par le bras armé est "éliminée"... On retrouve ici tous les ingrédients spécifique au iaï... mais à la mode européenne. 

Si, dans les écoles d'armes japonaises, pour la plupart, le iaï est un incontournable pan technique et tactique, permettant de se préparer aux différentes situations et distances de combat, en lien avec l'escrime déja dégainée, en Occident cette dimension d'étude semble largement sous-exploitée, au profit d'une escrime de la lame nue et déja dégainée. 


Est-ce que cela est lié à une mentalité différente sur la phase d'approche du combat, dans laquelle l'étiquette européenne est "moins sourcilleuse" que la japonaise et ou l'on peut avoir la lame déja sortie, sans que cela ne dégénère automatiquement en combat ? 

Autrement dit, là où provoquer l'autre, au Japon, va sans doute nécessairement dégénérer en combat, pour des questions d'honneur à montrer socialement et, donc, où il faut mesurer de manière extrêmement fine et réfléchie si l'on y va, ou l'on y va pas, peut-être qu'en Occident, on peut plus facilement dégainer et rengainer sans que cela ne prête à de graves conséquences sociales ou "juridiques"... 

Sans que cela ne soit révélateur, puisqu'on bascule dans la fiction - mais, est-ce que la fiction n'est pas révélatrice des mentalités ? -, et ce sera le mot de la fin, songeons donc, dans les films de cape et d'épée occidentaux, au nombre de fois où les héros dégainent leurs armes à vue... et ne combattent pas ? 

Les Occidentaux, un peuple de bretteurs ferrailleurs provocateurs, pour lesquels dégainer se révélait sans conséquences importantes ?


A l'inverse, dans les films de Chanbara, le moment précédent le dégainement est extrèmement mis en emphase, et l'on y comprend bien que "dégainer" n'est pas un acte anodin, que ce soit en terme de risque pour la vie du héros, ou de mise en accusation sociale ou juridique - auprès du seigneur ou des autorités locales, par exemple, si le combattant est un samuraï - 

Bien évidemment, si vous avez connaissance d'autres traces historiques du dégainement en Occident, je suis preneur, par le biais d'un commentaire ou d'un mail à ce sujet. Cela enrichira alors cet article et je vous en remercierai !