...ou l'intérêt du simulateur !

Que l'on pardonne l'utilisation de ce titre d'Elmer Food Beat, chanson des années 90'. 
L'article de ce jour vise a amener une réflexion sur l'usage et l'intérêt des simulateurs et objets "châtrés" d'apprentissage martial.

Cette réflexion m'est venue depuis que j'ai constaté que la pédagogie des Arts Martiaux Français est liée en grande partie à l'utilisation d'armes neutralisées et sécurisées et ce, depuis des siècles. 

Pour commencer, un peu de définitions :

  • Un simulateur est un dispositif technique permettant de modéliser un système réel.
  • La modélisation est la conception et l'utilisation d'un modèle. Elle nécessite généralement d'être calée par des observations ou mesures faites in situ, lesquelles servent aussi à paramétrer, calibrer ou ajuster le modèle, par exemple en intégrant des facteurs d'influences qui s'avèreraient nécessaires.
  • La démarche de modélisation correspond à la mise en œuvre de la rationalité cartésienne et de la méthode scientifique. Il s’agit tout à la fois de se simplifier le travail, en éliminant les détails difficiles à reproduire, et d’obtenir un résultat plus net, en se concentrant sur les seuls traits jugés importants.
La notion de simulateur peut être prise sous deux angles :

D'abord l'angle de l'objet en lui-même...
 
Depuis l'invention du fleuret au 18e siècle, en tant qu'objet d'étude de salle d'arme léger et sécurisé, qui représente symboliquement une épée réelle, des générations de pratiquants ont pu ainsi apprendre, s'entrainer et expérimenter la pratique avec un certain engagement physique, tout en diminuant les risques de blessures à l'entrainement;
En contrepartie, cet objet permet aux pratiquants de travailler, à côté de techniques codifiées et précises dans le cadre d'échanges stéréotypés - c'est à dire dans lesquels la surprise n'existe pas -, des prises de risque, des expérimentations personnelles dans des séquences d'échanges libres ou semi-libres appelés assauts
 Les AMF ont donc fait le choix d'intégrer ces objets, protecteurs et réduits à l'essentiel pratique, pour étudier l'art de combat, en cherchant à s'approcher de conditions de pratique proches du réel ou du semi-réel.
D'autres cultures ou d'autres époques ont fait des choix différents, en sécurisant la pratique par le seul travail codifié stéréotypé. Cette différence de l'essence de la pratique n'a pas manqué d'alimenter des discussions et des querelles entre tenants des deux méthodologie d'apprentissage. 

Le fleuret, mais aussi le sabre de bois, de même que le "gant matelassé" ou le "chausson" de boxe ont donc constitué des solutions techniques pour neutraliser la dangerosité d'un entrainement visant a enseigner des techniques létales ou incapacitantes. 
Les pratiquants devaient pouvoir apprendre la réalité de l'art sans se blesser, sans blesser l'autre... mais tout en incorporant des attitudes et des comportements de combat réel. Il fallait donc créer des moyens techniques de réduire les risques : légèreté de l'arme, rembourrage amortissant de l'arme, matière adaptée de l'objet  sont les caractéristiques principales des simulateurs objet les plus anciens.
Dans l'esprit de l'époque le fleuret n'était pas un fleuret en tant que tel, mais la représentation rationnelle, limitée à l'essentiel utile de la réalité de l'activité
Ainsi, être touché par le fleuret signifiait que l'on était mort ou handicapé. Touché par le chausson ou le gant voulait apprendre que, en vrai, notre tibia aurait été brisé par la savate ou notre nez cassé par la main frappante. 

Matériel historique : 







Le simulateur sert, aussi, à mettre en lumière la réalité des conséquences d'une erreur combative. 
En ce sens, même avec un simulateur, on ne peut pas dire "c'est pas grave, j'ai juste été effleuré"
Le simulateur représente l'arme réelle. 
L'oublier fait courir le risque de minimiser les dangers et encourage :
  1. la prise de risque inutile pour toucher avant l'autre
  2. à penser que l'on peut "encaisser" la vraie arme - puisque le simulateur ne fait pas mal.


Le danger du simulateur est là : Ne penser que par ce qu'il est lui-même pour lui-même.
Non, il ne fait que représenter le danger réel de l'arme réel. Il doit être investi de la notion et de l'esprit de danger. Qu'il "fasse mal" ou pas, cela ne change rien.
Dans ce cas, alors, il est formateur. 
Si cet esprit n'est pas là, il devient alors une espèce de mauvais outil qui peut fausser l'apprentissage. 

Si l'outil est revêtu du bon état d'esprit, alors la pratique devient elle-même simulatrice, donc révélatrice de la réalité.  

Il existe aujourd'hui de très bons outils, modernes, de différentes matières qui remplacent facilement ces simulateurs anciens . Ce sont ceux-là que j'utilise - pour travailler libre sécuritaire avec des partenaires - , à côté de l'arme "réelle" - pour travailler solo ou codifié sans danger

Matériel moderne :

Polypropylène

Plastique recouvert de mousse
Plastique léger


Mousse sur les "zones dures" de touche





...et nous arrivons au deuxième point, la simulation par le pratiquant

Le pratiquant en tant que simulateur lui-même de la réalité étudiée.
 
Cela rejoint la pédagogie. 
L'apprentissage est un jeu de rôle et de conventions d'étude et de pratique. Ces conventions visent à simuler, elles-aussi, la réalité dans tel ou tel de ses aspects. 
Comme la réalité du combat est complexe - et dangereuse -, il faut dans l'apprentissage, séparer, séquencer, découper ... en sous-parties essentielles pour mieux appréhender, comprendre et progresser. 
C'est la tâche de l'enseignant et celle du pratiquant de respecter cela pour progresser en conscience, lui-même et son/ses partenaires/adversaires. 

Seuls peu d'individus acceptent de se forger dans le combat global réel dangereux : Ces personnes ou instructeurs existent, ils proposent des "exercices" souvent bruts et dangereux. Je ne nie pas leur valeur réelle, évidemment. J'en ai rencontré, participé à certains de leurs entrainements ou stages ou formation reçue (par exemple en savate-defense) quand j'étais plus jeune, pour voir et me lancer des défis personnels, mais je ne suis plus certain d'avoir envie de prendre autant de risques avec ma santé maintenant.
De plus l'état d'esprit que cela peut générer n'est pas celui qui m'intéresse.
Parfois, pour certaines de ces personnes, j'émets même un doute sur leur adaptation dans la société actuelle. D'autres, évidemment aussi, gèrent parfaitement, socialement et humainement, cette violence induite, ne me faites pas de procès là-dessus. 
Enfin, n'oublions pas, non plus qu'une blessure grave, à l'entrainement, empêche de s'entrainer pendant longtemps... et fait courir le risque d'handicap permanent. Dommage, alors, que l'activité qui nous permettrait de nous protéger, soit celle qui nous blesse à vie ! 

Tout cela pour dire que la juste pratique est, selon moi, une juste mesure bénéfices/risques. Et, moi, j'ai choisi la version bénéfice par le bon outil ET la bonne pratique

En conclusion, peu importe que l'on s'entraine à armes réelles ou à armes simulées.

Travailler avec les simulateurs, même modernes, bien conçus, bien construits, peut permettre de rester dans l'état d'esprit originel de la pratique, pour autant qu'on connaisse les avantages et les inconvénients de chacun d'eux, en sachant mesurer ce qu'ils modifient par rapport à la réalité choisie comme référence d'étude
Si cela est, alors on peut apprendre réellement la martialité, car la pratique est revêtue du bon état d'esprit.

L'important est l'état d'esprit de la pratique : celle-ci doit revêtir les atours de la réalité qu'elle cherche à modéliser, mais sans mettre le pratiquant face à des risques trop conséquents ayant des conséquences irréversibles.
Pratiquer de manière sécurisée car l'on ne peut se permettre de se blesser, par imprudence ou des formes d'excès ou d'inconscience.
Pratiquer en se demandant, toujours, si ce qu'il aurait fait dans la "simulation d'étude avec son simulateur" aurait donné, en vrai, avec une vraie arme non-neutralisée. 
Un feed-back permanent, pour soi-même et pour l'autre... 

En ce sens, la pratique est autant intellectuelle et mentale, voire morale - le respect du partenaire, en le poussant tout en respectant les limites qu'il peut supporter et accepter - que physique et corporelle.

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Par la suite, si l'on veut tester des armes réelles, rien n'empêche de le faire, pour soi, mais dans des conditions - exercices et outils prévus - qui ne mettent pas l'autre en danger :
  • pratique en solo dans le vide
  • pratique sur sac ou mannequin, etc... 
En fait, tout est question de cheminement réfléchi et d'équipement en lien avec celui-ci... comme pour une randonnée.  
Savoir où l'on va.