Le iaî est souvent une manière stylisée et académique de travailler et faire sentir les difficultés liées à l'adaptation à l'attaque surprise avec un sabre japonais.

C'est une activité que j'apprécie particulièrement par l'esprit qu'il véhicule et la symbolique d'action qui y est liée. Il permet aussi de se concentrer sur sa recherche personnelle par les sensations qu'il transmet.


Mais, il pourrait devrait (?) surtout être un moyen, plus pragmatique, de travailler le dégainement rapide et varié du sabre... un peu comme Lucky Luke dans les western. 

Rapidité et précision devraient être sa base. 

Pourtant, dans bien des cas, le iaï semble s'embourber, sous prétexte de "gestuelle correcte", dans une finalité d'étude "lentement et avec précision" et sans prise en compte de l'incertitude ou du/des contextes de mise en oeuvre.

Le geste idéalisé est travaillé, au dépend de la finalité réelle historique ou pratique. 

Une sorte de maniérisme d'école peut parfois apparaitre, avec des gestes spécifiques, différenciés d'un style à un autre. 
Je pense ici, surtout à la manière de dégainer, la position des mains sur la poignée, le contrôle du saya, etc... 
Mais est-ce que ce maniérisme - ou ce que j'appelle ainsi - ne cache / transmet pas quelque chose de plus important ? 

On peut passer des heures à se prendre la tête sur ces détails, et à travailler le geste pour le geste... au risque de passer à côté du message réel que ces gestes et la situation tactique évoquée véhiculent, ou peuvent véhiculer. 

Aussi, pour cela, il faut se replacer dans le contexte.

Penser aussi aux styles qui font du iaï "en opposition" peut-être et se demander pourquoi ils font cela. Ce que cela leur apporte ...  


Un kata, un style, est la "vision mise en forme" de la compréhension par une structure d'un contexte donné et visant a apporter des réponses - ou ayant pour but de susciter des questionnements - en terme de formation de l'individu sur les plans physiques, tactiques, sociaux, voire psychologiques. Il peut jouer son rôle sur l'un ou l'autre de ces plans, parfois sur plusieurs en même temps. 

Il peut être la formalisation d'un seul homme, , disons plus doué ou plus réfléchissant que ses collègues, le long de sa vie et evoluant en fonction de son expérience, ou une modélisation "à plusieurs mains", une création collective en quelque sorte. 


Il peut s'affiner, se raffiner à mesure qu'il est utilisé, transmis. Sur une vie ou des générations de vie de pratiquants selon son ancienneté - et s'il a survécu -. Il peut alors s'enrichir de nouveaux apports, liés à de nouvelles réflexions, de nouveaux contextes qui apparaissent ou au contraire perdre des éléments - importants ou pas - , à mesure qu'il se diffuse et qu'il est travaillé. Cette modification est parfois volontaire ( adaptation à de nouvelles contingences) ou involontaire (incapacité des utilisateurs à voir ce qui est fondamental de ce qui est accessoire)... d'ou l'importance de replacer dans le contexte et d'avoir un "mode d'emploi". 


C'est un peu comme une "source historique" : Elle n'a d'interêt réel, au-delà du seul folklore, que si l'on arrive à la replacer dans son contexte et si on lui applique une méthodologie d'étude. Encore faut-il savoir si elle a une valeur "en soi"; ça, on ne le sait qu'après l'avoir étudiée, décortiquée, pressurée... se l'être appropriée.

du 12e siècle, je ne saisirai donc cette fois encore qu'une image. Un reflet vacillant, déformé...
-Georges Duby

Dans tous les cas, c'est un support de recherche, a minima personnelle, au mieux collective. 

La base de son étude est le contexte d'élaboration. 

Dans le cas des katas : 

  • Un contexte tactique : Ici, c'est "comment dégainer rapidement et réagir en mettant fin à une menace surprise, le plus rapidement possible, et dans un positionnement qui m'est défavorable"
  • Un contexte historique ou social : là, c'est "j'ai deux sabres dans mon obi - car j'appartiens à une classe sociale qui m'autorise à porter deux armes - et comment je dégaine l'un ou l'autre, sans être gêné par celui que je ne dégaine pas ( si je ne le dégaine pas !)".
  • se pose aussi la question du "pourquoi une partie du temps je travaille à genou ou en iai goshi ou tate hiza" ?  
La réponse à ces questions devraient être apportées par le kata, pour qu'il soit efficace dans son enseignement. 

Concernant le iaï, le positionnement des mains m'a toujours paru alambiquée, surjoué. Dans tous les, cas, peu naturelle. A mes questions, on m'a souvent répondu "parce que c'est comme ça dans le kata"... 
Mais si le kata se veut pragmatique, tous les gestes devraient l'être, ou, du moins, donner les clés pour trouver et travailler une réponse pragmatique. 
Non ?...

Pourquoi, en Katori, met-on le dos de la main sur la tsuka, avant de dégainer ? 
Pourquoi en Muso Shinden, force-t-on l'angle du poignet et passons-nous le bras "sous le sabre" ?
    Pourquoi insister fortement sur ces détails ? Est-ce juste du maniérisme ?
Pourquoi, en Toho iai, restons-nous libre de faire "comme on veut" 

Il y a quelques temps, je suis tombé sur cette vidéo : 



Peu importe le style ( je crois que c'est du Mugai Ryu), l'expert... l'important c'est ce que cela évoque : Ce respectable monsieur propose une étude du iai prenant en compte la gestion des deux sabres et l'encombrement de celui qui reste à la ceinture. Même si il y a toujours, dans cette vidéo, ce côté "bien lêché" de l'Académisme d'école - Mais là n'est pas le sujet de la seconde partie de ce texte -

Tilt !

Et si nos gestuelles spécifiques, particulières, en Katori et Muso Shinden, avaient pour but, ou permettaient, aussi de gêrer cet encombrement ? 

Ben, essais effectués, ça marche : 

Refaisons nos katas de iai avec un second sabre à la ceinture, en partant du principe que le kodachi est a droite du daito et voyons comment on s'en sort avec cette gêne en + : 
  • En Katori, le retournement de la main sur la poignée - de supination à pronation - allié à la descente du poignet vers le bas, permet de forcer le positionnement du kodachi plus bas que le daito ; Ainsi, les tsuba et les saya ne se gênent pas mutuellement et le chemin de dégainage du daito n'est gêné par rien. Si jamais le kodachi s'était rapproché du daito - et aurait gêné le dégainage - il est alors repoussé à un endroit qui n'empeche pas un dégainé facile.
  • En Muso Shinden, le kodachi, lui, ne doit pas bouger de sa position ; La main droite passe "sous" le kodachi, devant sa tsuba, ne le touche pas, et permet d'avoir un accès à la poignée du daito, par-dessous le kodachi. On peut alors dégainer sans bouger la position du kodachi.

La vidéo démonstrative exemple 




Pour ma part, je pense qu'en iaido Toho ou Seite Iaï, cette réflexion du kodachi a été évacuée et ne rentre pas en ligne de compte. Ce n'est pas travaillé, à ma connaissance. 

[ Sur ce lien ] , vous verrez comment porter "correctement" les deux sabres à la ceinture. Dans une logique contextuelle, ce serait la tenue "de base" pour le travail du iai "à deux armes". Sans doute que cet académisme est à relativiser en fonction des armes utilisées (wakizashi ou aikuchi comme arme secondaire ?), mais cela donne une direction d'étude...  

Nb : Une vidéo qui montre que je ne suis pas seul à me poser ce genre de question... 


Certains commentaires, sous la vidéos apportent des éclaircissements ou des questionnements supplémentaires...


A l'issue de cette réflexion, dans une logique de lien avec les différents schémas d'étude de sabre japonais, je pense que :
  • le iaï à un seul sabre est une simplification d'étude...
  • il faudrait donc toujours travailler le sabre "à deux armes" avec deux fourreaux à la ceinture *, pour s'habituer à l'encombrement de la situation "réelle" (historiquement contextuelle), en iaijutsu ou en kenjutsu
  • travailler le iai autant au daito qu'au kodachi - tiens, d'ailleurs, ça fait quoi quand on travaille ses katas au kodachi ? ;) - amenerait un gain en terme tactique.
  • apprendre à degainer le kodachi de la main gauche, pour qu'il devienne un auxiliaire rapide du daito et pas juste "le truc qui reste à la ceinture", et faire le lien avec la dimension nito du ken jutsu

Concernant le travail " à genou", il me semble que, là encore, il est présent pour faire travailler une situation "plus difficile que debout", ou dans un contexte "socialement historique", voire travailler dans une situation d'étiquette ou seul le kodachi est autorisé (les invités d'un lieu n'avaient le droit de garder à la ceinture que leur kodachi, et leur grand sabre était gardé en lieu sur, de manière sécuritaire pour l'hôte recevant - paranoia ou sécurité quand tu nous tiens ! - )
D'où l'intérêt supplémentaire de travailler le iai au kodachi !

Bon travail à tous !
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* Cela me fait penser indirectement - même si ça n'a que peu à voir avec le thème ici - aux précautions et réflexions que l'on se fait en Escrime de Spectacle ou en GN, pour avoir un accès fonctionnel à son arme secondaire ou dissimulée, pour pouvoir la sortir de manière efficace c'est à dire rapidement et sécuritairement, sans la chercher et avec naturel, dans le feu de l'action...