Ils se transmettent dans des salles, civiles ou militaires, par des Maîtres qui les enseignent à des civils et/ou des militaires.
Ils sont le reflet des besoins et des conceptions de leur époque.
Pourtant lorsque l'on regarde les époques un peu plus anciennes, on remarque des armes autres : Des grands bâtons, des fléaux et autres armes exotiques (fléaux à grains, bâton brisé...), lances et pertuisanes... .
Ainsi, des auteurs tels que P-H Mair ou J-G Pasch, des 16e et 17e siècles, enseignaient le fléau ou le Jägerstock - traduit en français par "baston à deus bous"... Certes ces auteurs ne sont pas français, mais J-G Pasch mentionne sa méthode de bâton comme provenant de la méthode française...
Donc, dans nos territoires, ces armes ont dus, aussi, être enseignées, voire présentaient des méthodes autochtones selon les régions. Pourquoi ne les voyons nous pas dans les traités français ?
Dernière découverte du jour, qui contredit la dernière phrase du paragraphe précédent : Il existe bien des traités français qui présentent le baston à deux bouts !
Merci à Maxime Chouinard qui nous a partagé le traité du Capitaine Collombon, enseignnant militaire à Lyon dans la première moitié du 17e siècle, qui présente dans ses traités de 1623 et 1650 des "solos" de pertuisane, pique, hallebarde et baston à deux bouts, bien avant le traité de J-G Pasch
Traité du Capitaine Collombon, de Lyon - 1650 |
C'est donc la preuve "imprimée" d'une méthode française autochtone - et pas "empruntée" à Pasch ou d'autres sphères culturelles ou d'autres pays - Pasch n'imprime son traité de baston qu'à partir de 1657-1660 et le réimprime en 1670 -
Et Pasch lui-même reconnait que "sa méthode provient de textes français traduits en allemand" !
Toutefois, dans les époques utltérieures, auraient-ils disparus ? Relégués au rang d'armes devenues inutiles par l'uniformisation de l'escrime à l'épée ? ... et si oui, pourquoi et à quel moment ?
Si certaines de celles-ci se sont transmutées et combinées sans doute pour amener leurs bienfaits aux nouvelles armes (je pense notamment au rôle de la pertuisane, dans l'enseignement de la baïonnette), qu'en est-il, par exemple, du bâton à deux bouts et des fléaux et autres bâtons brisés ?
Et bien, il semble que ces armes "autres", en fait n'aient pas nécessairement été rayés de l'enseignement : Même si elles ne sont plus écrites, sortis des traités qui les mentionnaient avant ou, même les enseignaient dans les siècles précédents, elles étaient sans doute encore transmises.
Les fléaux et autres bâtons étaient traditionnellement associés à la paysannerie et aux classes sociales "jugées plus basses" de la société française aristocratique, et les auteurs de traités écrivaient soit pour l'armée, soit pour la classe nobiliaire, en enseignant les armes de leur clientèle... Peu reluisant, ou vendeur, pour eux d'annoncer qu'ils enseignaient des armes de paysans
Et pourtant, ils sont enseignés jusqu'au 18e siècle et semblent disparaitre totalement au 19e siècle. La période charnière semblant être la deuxième moitié de ce 18e siècle, période de leur éviction des salles d'armes.
Mais est-ce bien vrai ? Est-ce que parce qu'ils ne sont plus présents dans les sources du 18e et 19e siècle qu'ils n'étaient pas enseignés de manière informelle ?
On peut donc se demander si, à côté de l'enseignement nobiliaire ou bourgeois des Maitres d'armes d'escrime, il n'y avait pas des enseignants et des enseignements pour la roture.
Des sources nous donnent à penser que cela a du exister.
Au 18e siècle, Batier et Girard mentionnent chacun des méthodes pour lutter contre les bâtons, hallebardes et fléaux : C'est donc que cela pouvait être une éventualité qu'il fallait, au minimum connaître, voire pouvait se rencontrer de manière effective sur le terrain.
Traité de Batier |
Donc je pars du principe, qu'au 18e siècle, en France, ces armes étaient encore enseignées.
Girard enseigne aussi l'esponton, une arme d'hast assimilée à une pique - qu'il enseigne comme arme de cérémonie... mais qu'il oppose aussi dans quelques paragraphes à l'épée de pointe. Girard précise les liens entre esponton et escrime de pointe, ce qui donne à penser que les principes de la pointe se mettent dans l'esponton, donc que celui-ci pouvait, aussi servir d'arme, au-delà du rôle cérémoniel affiché. Pour lui, l'esponton fait partie de l'Art Militaire
Traité de Girard |
Et de l'esponton à la baïonnette, il n'y a qu'un pas... que l'on peut sans doute franchir !
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Au 19e siècle, le Capitaine de Bast (1836) mentionne encore des méthodes contre ces armes : Elles devaient donc encore être présentes en 1836. On notera la nuance entre les variantes régionales.
Traité de De Bast |
De même, dans le traité de l'élève de Michel dit "Pisseux", est évoqué des assauts démonstration - qu'il a vu lui-même - de bâton brisé, de fléau a 7 branches et de biscaïen (voir ci-dessous), présenté par le professeur Gousset. Le traité cité date de 1845/1850 environ.
Enfin, l'affiche de la salle du 21 rue des Moineaux à Paris présente cet ustensile étrange assimilé au biscaïen, une sorte de fléau improvisé, qui me semble formé à partir d'une pomme de touline...
Une arme improvisée de marins ? ... Il semble enseigné en tant que matière d'étude dans cette salle - qui propose boxe, escrime, bâton et gymnastique...
[ Voir l'article du "fracas des lames" à ce sujet ]
Tout cela donne donc à penser, qu'au-delà de la matière classique et Académique des traités, une survivance d'armes plus anciennes était enseignée au 18e et 19e siècle, en tant que matière secondaire de l'escrime, mais que cela n'apparait plus dans les traités français.
Les auteurs choisissent de publier uniquement sur certains thèmes, devenus Académiques et n'écrivent plus sur d'autres, considérés comme secondaires, désuets ou obsolètes.
Enfin, je vous renvoie aux traités de Quarterstaff - le double bâton britannique - présents sur ce site : Si Albion a diffusé début 19e siècle des traités de cette arme, c'est donc qu'elle étaient enseignée... compte-tenu de la porosité culturelle, pourquoi le double bâton français n'aurait-il pas survécu de manière invisible à la même époque ?
#Analyze AMFrançais du Chat Noir
1 Commentaires
Merci pour cet article très intéressant Je me permets d'ajouter quelques précisions concernant l'esponton :
RépondreSupprimerTout d'abord c'est une arme d'officier, c'est très clair chez des auteurs comme Louis de Gaya (Traité des armes - 1678) ou Pierre Surirey de Saint Remy (Mémoires d'Artillerie - 1696). D'où l'aspect très décoré de ces armes. Du coup ça n'est pas l'ancêtre de l'escrime à la baïonnette puisque les officiers n'avaient pas de fusil (on voulait qu'ils commandent, pas qu'ils tirent, d'où l'esponton justement et la hallebarde ou la pertuisane pour les sous-officiers). D'ailleurs à l'époque de Girard tous les régiments étaient déjà passé de la pique et du mousquet aux fusils à baïonnettes.
Louis de Gaya semble confondre esponton et demi-pique : "Les Spontons ou demy-Piques font d'un mesme bois que les Piques , & ont les fers semblables, leur longueur est à peu prés comme celles des Pertuisanes , L'usage nous en est venu des Anciens, qui portoient des Piques hautes de six coudées [...]". En revanche il décrit le bâton à deux bouts à un autre moment.
Notons que Geog Paschen, y compris dans l'édition bilingue franco-allemande de 1673) confond lui demi-pique et bâton à deux bouts...
Peut-on rapprocher les deux armes ou est-ce jusque parce que ce sont toutes les deux des lances courtes (notons qu'aux XV-XVIe siècle on parle de "javelines" pour les lances courtes même si elles ne se lancent pas vraiment).
Ah... la précision des termes de l'époque !