J'aime le 18e siècle. Je pense que c'est ma période de prédilection en termes historiques.
De fait mes recherches s'étendent fréquemment sur cette période, en terme de costumes, moeurs, mentalités ou martialité.
Et, là, un point me gène : Il semble que la martialité, dans ce siècle des Lumières, s'arrête à l'escrime.
Pourtant, ils devaient bien se battre "à mains nues" ? (comme sur ces deux images par exemple), donc apprendre ça quelque part...
Au fil des traités d'escrime, l'on trouve parfois des désarmements et autres contacts de corps, mais toujours en lien avec l'arme... jamais de traités de lutte ou de pugilisme, français ou autre (sauf en Grande Bretagne avec son boxing particulier)
Du moins, c'est ce que je croyais...
Jusqu'à ce que je trouve, par hasard (par le biais du groupe Facebook "classical fencing") le traité de Johann Andreas Schmidt "Leib-beschirmende und Feinden trotz-bietende Fecht-Kunst".
La première édition de cet ouvrage date de 1713, mais il a été réédité plusieurs fois dans le siècle jusqu'en 1780.
Des recherches par le web sur lui nous retournent ceci :
Johann Andreas Schmidt était un maître d'escrime allemand né vers 1650 à Marienberg, en Allemagne. Quelque temps après 1671 (ou après 1675), il étudie l'escrime avec le maître d'escrime Johann Georg et Johannes Georgius Bruchius à Amsterdam. Les impressionnantes capacités d'escrime de Schmidt ont été illustrées par une histoire selon laquelle en 1712, à la suite d'un pari de 10 ducats, armé seulement d'un bâton, il a affronté "six fermiers forts" à Altdorf dans la région de Nuremberg et les a tous vaincus, ainsi gagner le pari. L'année suivante, en 1713, il crée sa propre école d'escrime à Nuremberg. En 1721, Georg Wilhelm von Brandenburg-Bayreuth (1678-1726), le souverain de Bayreuth, nomma Schmidt maître d'escrime page après la défaite et le désarmement réussis de deux maîtres d'armes. Il a été nommé maître d'escrime page avec un salaire de 1 000 florins. Après la mort de son mécène probablement après 1726, Schmidt retourna à Nuremberg pour continuer ses enseignements. Il a ensuite déménagé pour enseigner à la fois à Stuttgart et enfin à Tübingen, où il est décédé.
Donc un enseignement du 18e siècle, inspiré du siècle précédent.
Un traité d'escrime de plus me direz-vous... Que nenni ! A mon sens, une passerelle temporelle, technique et géographique. D'où le titre de cet article.
Ce qui est intéressant dans cet ouvrage et qui m'a interpellé est la juxtaposition de plusieurs dimensions : l'escrime (de pointe et de coupe), le travail gymnique au cheval d'arçon et le combat désarmé (ringen, "lutte" comprenant aussi des coups frappés ainsi que des ripostes sur coups frappés)
Les longs manuels d'escrime de Schmidt (342 pages dans l'édition de 1780) sont globalement divisés en quatre parties. Le premier traite de l'usage et des arts de l'escrime à la rapière unique d'après la manière allemande, qu'il avait apprise grâce à Georg et Bruchius, elle-même fortement influencée par les enseignements du maître italien Salvator Fabris . [3]La seconde couvre les exercices par des techniques de gymnastique effectuées sur le cheval d'arçons, et qui, dans un style historique, sont représentés dans des illustrations comme un appareil en forme de cheval avec les pommeaux (alias poignées) étant l'avant et l'arrière de la selle haute, elle-même réalisée au 18e siècle. . style. La troisième partie du manuel fournit plus d'instructions sur les techniques d'escrime. Enfin, la quatrième partie fournit des leçons de lutte, alias "l'anneau", qui dépeint les prises et les démontages et semble avoir ses racines dans les styles de lutte classiques qui accompagnaient les enseignements avec l'épée à deux mains des deux siècles précédents. [Wiktenauer : Entrée "Johann Andreas Schmidt"]
Deux traités de Schmidt à consulter en ligne :
- https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb10919114?page=74
- https://books.google.fr/books?id=1VICAAAAYAAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
Cette dernière dimension de "lutte" m'a réouvert les yeux sur le combatif du 18e siècle.
Là où je pensais que seule l'escrime avait force de loi, je m'aperçois que dans ce traité, d'un Maître d'armes ayant une Académie personnelle, un enseignement spécifique liait armes et mains nues... Une polyvalence en somme.
Certes, vous me direz, il est allemand, donc avec des spécificités germaniques... MAIS, si l'on regarde ce qu'il propose, l'on s'aperçoit qu'il a intégré des influences diverses dans ses propositions : Ses termes d'escrime sont français et italiens, les postures et techniques proposées ont des similitudes avec celles proposées dans d'autres traités - français notamment, mais pas uniquement.
Les techniques qu'il présente, à l'escrime, se retrouvent chez d'autres...
Girard - 1740 |
On peut donc supposer que, de part et d'autre des frontières les principes et techniques des hommes d'épées s'échangeaient, un peu comme une matière commune - certains enseignements particuliers étant peut-être réservés aux clients ... mais ceci est une autre histoire -
Mais, donc, si l'escrime s'échangeait de par les frontières, à la faveur des livres et/ou des guerres - tel cet officier militaire d'une armée d'occupation en campagne occupant son temps libre à s'escrimer avec les locaux -, pourquoi le combat désarmé n'aurait-il pas subi la même "porosité" ?
D'autre part les techniques de "lutte" de Schmidt présentées dans son traité, ne constituent-elles pas elles-mêmes une sorte de "fond commun" qui se retrouvait certes en Allemagne, mais aussi ... ailleurs ...
Enfin, si l'on regarde bien ces techniques de lutte, on voit qu'elles sont inspirées des siècles précédents. L'on retrouve des "tours" similaires chez Schmidt et Petter par exemple (et même plus loin, chez Fiore Dei liberi par exemple)...
Petter |
Schmidt |
Petter pratiquait un style de lutte connu sous le nom de luctorius et était connu à son époque comme un lutteur invincible.
Sa clientèle semble avoir été composée principalement de messieurs de la classe supérieure, et les techniques qu'il enseignait étaient considérées comme plus «civilisées» que la lutte ordinaire. Petter a écrit un long traité sur la lutte comme moyen d'autodéfense urbaine intitulé Klare Onderrichtinge der Voortreffelijke Worstel-Konst, mais ne l'a pas publié avant sa mort en 1672.
On peut noter aussi que, dès 1712, une traduction en français est publiée !
Et le pugilisme là-dedans, donc... ?
Je vous renvoie à le huitième partie de Petter, concernant spécifiquement les Manières de se battre à coup de poing ... donc une preuve que le pugilisme était pratiqué - et donc sans doute enseigné spécifiquement - en France dès le 18e siècle.
A gauche, une "patate d'artilleur" qui ne dirait pas son nom ? - et, à droite, un début de "clé de coude percutée" ? |
Un lien complet main nue/arme !
Au final ?
Donc, mon idée est que en France, aussi, la lutte devait être était enseignée dans les salles d'armes, surtout dans le cas ou cette formation devait préparer l'étudiant à "tenir son rang" ou à la guerre.
Et, même si elle n'avait pas les honneurs d'être mise en livre de manière autochtone - car sans doute considérée comme fruste ou populaire chez nous... peut-on imaginer qu'une formation de combattant qui se voudrait complète ferait l'impasse sur une polyvalence combative ?
Le Dr Sydney Anglo appelle ce type de combat, armé ou à mains nues, "combat total", par opposition aux duels formels avec des règles, et le décrit comme : "un autre domaine de combat personnel qui a été enseigné par des maîtres dans toute l'Europe et pratiqué à tous les niveaux (...) de la hiérarchie sociale, que les antagonistes portent ou non une armure défensive "
Je terminerai donc sur cette citation pour vous inciter, si vous souhaitez reconstituer de manière plausible un style combatif de type 18e siècle, à ne pas faire l'impasse sur le pugilisme "autres manières" (que la boxe anglaise bareknuckle), à côté et en lien avec l'escrime aux armes.
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