Classiquement les déplacements fondamentaux que l'on repère et enseigne le plus habituellement, à l'escrime française, sont la marche et la retraite
Dans les traités, dans les salles, ces deux déplacements sont considérés comme les bases sur lesquelles se construisent les actions offensives ou défensives. 
Depuis plusieurs siècles. 

La période actuelle - et compétitive - qui a augmenté la vitesse d'action, par volonté de jeu et de gagne, liées aux conventions, a, selon moi, quelque peu oublié la prudence, de mise, lorsqu'autrefois l'escrime n'était pas un jeu, mais une activité pour se défendre

L'escrime actuelle a rajouté des déplacements supplémentaires par rapport à l'escrime "18e siècle" - qui est ma base de réflexion et actuellement, de pratique - . Ceux-ci sont sans doute cohérents dans la logique compétitive, mais ils ne rentrent pas dans mon champ d'action. Ils sont liés, aussi, à une volonté de conserver le jeu dans une distance d'affrontement - assez longue - imposée par les règlements. Les interdits de ces mêmes règlements ont, aussi, modifié les possibilités tactiques... et donc techniques. 

Dans le même ordre d'idée, des déplacements classiques différents, utiles dans une logique de combat "où l'on va de tout" et où les distances de combat étaient multiples ont été oubliés, perdus, et donc ne sont plus enseignés à leur plein potentiel. Je pense à la passe avant - ou arrière -, aux déplacements latéraux, les quartes du pied, etc...
Déplacements que l'on ne voit plus qu'en escrime de spectacle, où leur rôle est limité à une chorégraphie.
Donc sans nécessairement de recherche d'efficacité réelle.  
- Dans le même ordre d'idée, l'escrime classique ambidextre - par l'utilisation de la main non-armée, pour saisir, repousser, dévier le bras armé adverse... ou mettre une percussion en distance de corps à corps ! - a disparu.-  

Tout cela pour expliquer que l'escrime actuelle sportive n'a que de lointains rapports - au moins psychologiques et mentaux - avec son illustre ancêtre combative.

Mais revenons à nos déplacements et nos pas perdus, objets de cet article. 

En regardant les multiples traités du 18e siècle, qui se répondent les uns les autres, se réfutent et s'opposent, sur des bases, malgré tout, communes, l'on s'aperçoit que les déplacements majoritairement utilisés dans une logique de combat sont :

  • la marche pour avancer de manière prudente
  • la retraite, pour reculer de manière prudente
  • les passes, avant et arrière, en rupture de rythme pour vite rentrer en distance courte, ou vite sortir d'une distance courte
  • certains auteurs introduisent des bonds - manœuvres que d'autres réfutent par leur imprudence et le risque qu'ils font prendre (mauvaise réception, déséquilibre, lenteur, etc...) - 
On en revient à l'utilisation de déplacements qui ne font pas prendre de risques inutiles et/ou qui amènent un compromis entre risque mesuré et gain combatif définitif : N'oublions pas qu'à cette époque, les 17e/18e siècle, l'escrime est un art de combat, dont le but est, au mieux de se protéger, défendre son honneur ou, au contraire, d'endommager grandement son adversaire, l'ennemi (cf Gérard Gordine, par exemple, ou Girard).

Dans ces traités, qui globalement reprennent plus ou moins les mêmes trucs et enseignements, l'un d'eux m'a marqué par l'introduction d'un pas particulier, que je crois ne pas avoir repéré chez d'autres : Une manière de se déplacer mixte entre la marche - ou la retraite - et la passe avant - ou la passe arrière - ; C'est celui de Jean Jamain de Baupré, daté de 1721

Il propose 3 types de déplacements : 

  1. la marche "classique"
  2. la passe avant "classique"
  3. un système mixte - que j'appelle marche poussée - et dont voici son explication :
La troisième marche se fait en portant le pied gauche fort près du talon du pied droit pour gagner la mesure sur son ennemi, et dégager le pied droit en avant, pour se trouver en force, au cas que vous ne fussiez pas en mesure

 Je suis très heureux d'avoir pris le temps d'avoir lu Jean Jamain de Baupré, car il valide ainsi cette mobilité que je fais travailler depuis quelques temps.
Cette manière de faire m'avait été mise à la bouche par une manière de faire marche et retraite que l'on trouve chez ... Charlemont - oui, oui, le savateur ! - un siècle et demi plus tard 

$12 - (...) à l'épée où la jambe de devant se déplace la première dans la marche en avant et la dernière dans la marche en arrière (= retraite - nda) ; tandis qu'ici, elle se déplace la première dans la marche en arrière et la dernière dans la marche en avant

(voir aussi $13 du traité de Charlemont)

Dans son traité il dit que ce système particulier est l'inverse des déplacements d'escrime... Est-ce que cela veut dire que de son temps, ces pas particuliers avaient été perdus ? et qu'il les as "réinventés" ?

Ce déplacement est habituel à la Savate Boxe Française classique et traditionnelle. 
On le retrouve chez Leboucher (19e siècle), par exemple et chez Alliot (années 1960)

Toutefois, en Savate, elle est encore plus exagérée, puisque le pied arrière se positionne quasi-au même endroit que le pied avant, ce qui donne un "ressort", un "élan" potentiel extrème.


Déplacements chez Lucien Alliot 


_________


J'aime beaucoup cette manière de bouger et je l'ai adoptée sans soucis : Je l'utilise et l'enseigne à l'escrime, mais aussi dans les transferts que je fais de l'escrime au pugilisme .

Elle apporte un dynamisme extrême, par la rupture de rythme rapide dans les pas qu'elle permet, et autorise, aussi, de pouvoir délivrer un coup de pied (fouetté, chassé, piqué... sont possibles sans soucis) , par un transfert très rapide du poids de corps sur la jambe arrière libérant le coup de pied... avant de réavancer et de pouvoir finir, par une fente ou demi-fente avant, permettant d'enchainer avec un direct par exemple.

Voilà un exemple de pas et de technique perdue, pour la plus grande part des pratiquants et des enseignants, dans l'évolution de l'escrime au fil des ans
... sans que je ne comprenne bien pourquoi. 

Mais que l'on peut réinvestir dans une pratique moderne qui veut garder des liens avec les raisons originelles de sa création !

____________

A noter, toutefois que je viens de repérer chez certains escrimeurs modernes, des déplacements qui y ressemblent... Jean-Pierre Philippon appelle cette façon de faire la marche inversée (https://enseignerlescrime.fr/2022/01/07/les-deplacements-des-tireurs-a-lepee-2eme-partie/)

Il semble que chez le Maître Clery (20e siècle) on la retrouve aussi : 

rapprocher le pied gauche du pied droit et se développer ensuite. C’est un procédé tactique qui permet, au cours d’une succession de marches, de gagner la mesure sans éveiller la méfiance de l’adversaire. - ESCRIME fleuret épée sabre – 1965 – Raoul Cléry – P. 98


Le maître Cléry consacre même un chapitre sur la marche inversée, P. 230/231, dans le titre sur l’épée.




Comme quoi, rien n'est peut-être perdu ?